Assemblée générale du 17/03/2016

Monsieur le Président, Chers collègues,
Je viens de présider avec vous cette assemblée générale qui est la troisième et dernière de mon mandat.
Je tiens avant de passer à la partie conviviale de notre réunion à m’adresser à vous de manière plus personnelle pour vous remercier et partager quelques remarques et convictions.
1 Une brève histoire
Un mandat triennal est une bien courte histoire dans la vie de notre compagnie ; c’est cependant l’occasion de voir vivre de plus près et autrement les experts, les juridictions et derrière tout cela des litiges, des recherches de preuves, des justiciables différents, accompagnés de leur conseil.
Pour un expert d’une discipline numériquement minoritaire, l’environnement, où les expertises sont peu nombreuses, la vue du fonctionnement des juridictions, des experts et des différentes catégories d’expertises, civiles et pénales, c’est incontestablement une occasion d’apprendre et de comprendre autrement comment fonctionne la recherche de la preuve au sein du service public de la justice.
2 Des constats
2.1 Des forces
Une compagnie qui s’est investie dans une démarche où les règles déontologiques, les notions de qualité sont présentes, admises, comprises. Une représentativité forte dans toutes les disciplines. Les professionnels regroupés dans la compagnie des experts – une association dont les membres potentiels sont désignés par une décision de l’assemblée générale de la cour d’appel donc une décision de justice, - sont bien des femmes et des hommes d’expérience
Président de compagnie d’expert, on entend parler largement de ce qui ne va pas ; et j’ai constaté que les contestations sur le fond des expertises sont rares, que les dossier objet des rapports d’expertise n’allaient pas souvent au fond – dans 70 à 80% des cas dans les expertises civiles – ce qui laisse penser que les justiciables sont conduits à transiger sur les éléments de preuve fournis par l’expert au terme de l’expertise que certains qualifient de « procès dans le procès ».

Un point fort c’est bien d’avoir dans la liste des experts des professionnels du chiffre, du bâtiment, de la santé, de l’industrie, de la traduction et de l’interprétariat, et la liste n’est pas exhaustive, qui exercent une autre profession, souvent libérale, à côté de l’expertise, continuant à assurer le maintien des compétences sur la base desquelles leur candidature à l’inscription sur la liste de la cour d’appel a été retenue. L’expertise est ainsi une activité occasionnelle, ce n’est pas une profession et cela garantit une absence de dépendance de l’expert à l’égard des missions qui lui sont confiées, ce qui est peut-être un des gages de son indépendance.
Un autre point fort, c’est l’ampleur du ressort, la taille des juridictions qui peut permettre d’éviter aisément les cas où l’expert doit se déporter ; dans un ressort plus modeste, avec un nombre d’expert plus réduit, ce n’est peut-être pas si simple.
Encore un point fort : l’image de l’expert de justice qui attire des candidats, qui ne peuvent être raisonnablement motivés par un espoir économique mais par l’intérêt de la tâche, l’espoir d’une reconnaissance sociale, l’intérêt intellectuel de contribuer par des prestations de qualité à une mission de service public.
Cette attirance s’apprécie par l’intérêt des candidats – les postulants- pour les formations qui leur sont offertes par notre centre de formation, pour parfaire leur connaissance des exigences de l’expertise judiciaire.
2.2 Des faiblesses
Parmi les faiblesses, qui sont également à reprendre parmi les menaces je vois le manque d’enthousiasme pour les réinscriptions de la part d’experts, parfois jeunes, déçus par les expertises qui leur ont été confiées – ou déçus par le faible nombre d’expertises qu’ils ont reçues pendant leur période probatoire.
Nous avons aussi des critiques à travers le filtre des contestations de nos actions. Elles sont, d’après les statistiques de notre assureur – environ 200 experts sur notre compagnie de 500 membres - de deux types : La recherche de la responsabilité de l’expert pour le contenu de son rapport,
La contestation des honoraires.
Le premier point, recherche de la responsabilité de l’expert pour le contenu de son rapport se chiffre en unités. Le second point, la contestation des honoraires est en croissance constante.
Que faut-il en déduire ? Une tendance consumeriste à vouloir être satisfait de la prestation fournie, « en avoir pour son argent » ?
Nous devons penser à remplir nos missions conformément à notre serment, c'est-à-dire satisfaire le juge, savoir que parmi les parties, il y a toujours des mécontents, mais savoir anticiper les coûts et les délais est une qualité que l’expert doit déployer de manière impérative et pédagogique.
Je dirai quelques mots du cas spécifique des experts traducteurs interprètes dont les missions – souvent des missions d’interprètes en matière pénale – sont en train de recevoir un cadre juridique et social rénové.
L’aboutissement d’une longue période de non assujettissement aux charges sociales pour les expertises payées sur frais de justice conduit à une remise en cause perçue avec un mélange de crainte et d’exaspération : une situation de mise à l’écart des règles communes en matière fiscale – la taxe à la valeur ajoutée – et sociale – le régime social adapté avec le paiement des charges attachées – a permis de pérenniser une tarification indigente de certaines prestations.
Nous allons devoir combler ce déficit d’évolution, porteur de menaces et d’appréhensions.
2.3 Des menaces
Pour nos activités d’experts : l’attractivité économique des activités expertales limite la menace d’une vaste révolution autour de l’expertise.
On doit cependant constater une tendance à la contractualisation des prestations requises par le service public de la justice : c’est le cas depuis 2011 des expertises médico légales (autopsies), ce sera le cas des prestations d’interprètes.
Pour ce que nous sommes : nous nous sommes vus comme des collaborateurs occasionnels du service public, partenaires du juge ; nous sommes aussi devenus à travers les évolutions des règles administratives et comptables qui enserrent la dépense publique des prestataires qui doivent se plier à des règles lourdes pour les experts indépendants qui réalisent une faible quantité d’expertise.
La maitrise de ces charges administratives induites, qui n’encouragent pas à renouveler les demandes d’inscription, sont aussi une piste d’évolution que je vais aborder maintenant.
Faudra-t-il prévoir des structures comparables aux structures de portage salarial pour accueillir administrativement et fiscalement les activités des experts en mutualisant ainsi des charges administratives qui de toute manière leur seront facturées ?
2.4 Des opportunités
La conduite du déroulement des expertises : L’expertise n’est pas un métier, mais la professionnalisation des fonctions support de l’activité expertale pour répondre aux exigences apparues depuis deux ans peut-être un métier de service, associé à l’activité d’expert, pour laisser l’expert, qui dans notre système français est un individu seul, déployer sa compétence expertale en étant déchargé de tâches matérielles pesantes pour des petites structures professionnelles.
Le recrutement des experts : Malgré les freins à l’attractivité des missions développés plus haut, l’allongement des carrières professionnelles contribue à fournir des candidats à l’inscription sur la liste d’experts. Le modèle d’expertise romano-germanique continue à employer des professionnels indépendants qui à un certain stade de leur carrière décident de s’investir dans ces missions en complément de leur activité.
Ce que nous voulons être et faire : pour un nombre important d’experts de notre compagnie, être expert c’est une opportunité de voir autrement son métier d’appliquer autrement ses compétences professionnelles et d’apprendre à réagir différemment face à des situations distinctes de celles rencontrées dans sa vie professionnelle « habituelle ».
Je vois dans ces éléments et dans la confiance générale du public, des avocats et des parties rencontrées une source de confiance dans la pérennité des fonctions d’expert.
3 Des perspectives
Je propose un postulat : La tendance générale à rechercher mesurer et améliorer la performance des activités de service ne laissera pas à l’écart l’expertise de justice.
La maîtrise de processus de manière modernisée devient donc un enjeu que tous les professionnels apprennent et maitrisent ; cela s’applique aux expertises reposant sur un processus bien défini, je pense à l’indemnisation du préjudice corporel, et à un nombre limité de parties.
La conduite de l’expertise menée comme un projet : cela concerne les expertises « à rebondissements » avec évolution du nombre de parties, du nombre de demandeurs : l’expert devient alors, en plus du reste un chef de projet chargé de prévoir et de piloter les coûts et les délais ; pour les cas les plus lourd faudra-t-il prévoir une fonction, distincte ou non mais clairement identifiée, d’assistance au pilotage de l’expertise ?
Ces éléments ne sont pas une pure utopie ; la place de la collecte de la preuve dans les procédures participatives reposera sur le recours à un technicien doté d’une mission et d’un contrat préalable qui fixera sa rémunération. Il appartiendra à l’expert de s’y tenir, faute de quoi il compromettra l’équilibre financier de sa mission – je dirai de sa prestation-.
Face à cela nous aurons besoin de mieux connaitre statistiquement ce à quoi correspondent les expertises, en nombre de missions, en coût et rémunération, en nombre d’expertise par expert. Les données disponibles ne font pas encore l’objet d’un traitement agrégé.
4 Des remerciements
Présider une compagnie d’experts, cela apprend beaucoup
Par les relations avec les juridictions, par la compréhension de certains modes de fonctionnement,
Par les relations avec les experts
Par l’expérience d’une activité de groupe, par les contributions des membres du conseil d’administration de notre compagnie qui savent m’épauler, me rappeler à l’ordre, dire ce qui ne va pas.
Pour tout cela je vous dois à toutes et à tous des remerciements émus.